"Fermez les yeux.

Le câble est limpide. Votre corps est silencieux. L'ensemble ,
immobile. Seule la jambe oscille. On voudrait la couper pour ne plus
former qu'un seul fil humain... mais déjà elle ne vous appartient plus,
ni plus rien de vous. Comme le joueur d'échecs, insensible au temps,
qui ferme les yeux et voit se dérouler sous ses pas une plaine de cases
noires et blanches, vous joignez les paupières pour ne voir qu'un fil
magnifiquement gris. Le vent silencieux de votre regard l'habite.

Un silence envahi de lumière.

Pénétrer
l'éclat lumineux à la recherche de sa source. S'enfoncer pour rejoindre
où rien ne respire, le noir qui s'y cache. Poursuivre et atteindre de
l'autre côté de la lumière une clarté éblouissante, une splendeur
bruyante, humide, tourbillonnante, souvent sans couleur. On verra se
former comme à travers un miroir noir un fil luisant et intouché. C'est
l'image de ce que l'on cherche. Brouillée aussitôt par les feux
d'artifice de nouvelles impressions.

Dès qu'il tient cette image, le funambule peut vivre d'espace. Des heures
durant, des morceaux de jours, avec l'espoir d'un arrêt du temps que
personne ne remarquerait."

Extrait TRAITÉ DU FUNAMBULISME Philippe Petit

Image: Hans Bellmer La Poupée 1935 + Francis Bacon 1/ Trois figures dans une chambre 1964 

"LA CHUTE ... La faute est de partir sans espoir, de se lancer sans fierté dans la figure que l'on est certain de manquer."